L’intelligence artificielle est en train de redessiner le monde. Des décisions financières aux diagnostics médicaux, en passant par l’agriculture, l’éducation ou la sécurité, l’IA devient incontournable. Mais alors que les pays les plus avancés prennent les commandes de cette révolution, une question cruciale se pose pour l’Afrique : sommes-nous en train de devenir dépendants des technologies que nous n’avons pas créées ? C’est là qu’intervient le grand défi de la souveraineté numérique.
C’est quoi, la souveraineté numérique ?
On parle de souveraineté numérique lorsqu’un pays ou un continent est capable de contrôler ses données, ses infrastructures numériques, et ses propres outils technologiques. C’est la capacité à ne pas être totalement dépendant d’entreprises ou de gouvernements étrangers pour ses services numériques les plus critiques. Dans le cas de l’Afrique, la plupart des services numériques moteurs de recherche, réseaux sociaux, clouds, plateformes d’IA sont conçus ailleurs, souvent aux États-Unis, en Chine ou en Europe. Et nos données ? Hébergées là-bas aussi.
Alors quand on utilise un chatbot IA, un moteur de traduction ou une application de reconnaissance vocale, ce sont souvent des modèles entraînés avec des données qui ne viennent pas de nous, qui ne parlent pas nos langues locales, et qui ne comprennent pas toujours nos réalités.
Pourquoi c’est un vrai enjeu pour l’Afrique ?
Parce que l’IA se nourrit de données. Et celui qui possède les données… possède le pouvoir. Si nos données économiques, culturelles, éducatives, médicales ou sociales sont stockées à l’étranger, nous perdons :
- Notre capacité à créer des outils adaptés à nos besoins.
- Notre contrôle sur les décisions prises par des algorithmes.
- Notre indépendance technologique.
Prenons un exemple simple : une IA utilisée pour évaluer le risque de crédit. Si elle est entraînée sur des profils européens ou américains, elle peut pénaliser à tort un entrepreneur sénégalais car son mode de vie, ses revenus informels ou son parcours n’entrent pas dans les « cases ».
Des défis spécifiques à relever
- La langue et les cultures
La plupart des modèles d’IA ne comprennent ni le wolof, ni le peul, ni le bambara. Ils ne reconnaissent pas les noms africains, ni nos accents, ni nos façons de parler. Résultat : de nombreux outils sont inutilisables, ou moins efficaces sur notre continent. - Le manque d’infrastructures locales
Les data centers sont rares, et le coût de la bande passante reste élevé. Cela limite notre capacité à développer et héberger nos propres modèles d’IA. - La fuite des talents
Beaucoup de développeurs africains formés à l’IA finissent par travailler à l’étranger, faute d’opportunités ou de financement local. - L’absence de cadre légal adapté
Peu de pays africains disposent de lois claires sur la protection des données, l’usage de l’IA ou la cybersécurité. Cela freine l’innovation locale et expose les utilisateurs.
Mais il y a aussi de vraies opportunités
Heureusement, le tableau n’est pas que sombre. L’Afrique peut transformer ce défi en formidable opportunité, si elle mise sur :
- La formation : Former des ingénieurs, développeurs et data scientists sur place. Des initiatives comme celles de Jangaan Tech, qui propose des formations en IA et automatisation adaptées au contexte local, sont à saluer et à multiplier.
- La collecte de données locales : Créer nos propres bases de données, en wolof, en peul, en français sénégalais, avec nos réalités quotidiennes.
- Le financement de startups tech africaines : Investir dans nos propres outils, nos propres moteurs de recherche, assistants vocaux, systèmes de traduction…
- Des partenariats équilibrés : Travailler avec des entreprises ou universités du monde entier, oui — mais en gardant le contrôle sur nos ressources numériques.
Le rôle que peut jouer le Sénégal
Le Sénégal est déjà en avance sur certains aspects : volonté politique pour le numérique, jeunes très connectés, écosystème tech en développement à Dakar, Saint-Louis, ou Touba.
Mais il faut aller plus loin :
- Intégrer l’IA dans les programmes scolaires et universitaires.
- Créer des incubateurs dédiés à l’IA locale.
- Protéger les données personnelles par une législation moderne.
- Encourager les startups comme Jangaan Tech, qui misent sur l’IA comme levier d’autonomie et non de dépendance.
L’intelligence artificielle est une chance incroyable pour l’Afrique. Mais elle ne doit pas être une nouvelle forme de colonisation technologique. Pour que l’IA soit au service de nos populations, il faut investir dans la souveraineté numérique dès maintenant. Cela passe par l’éducation, l’infrastructure, la régulation et une vraie vision panafricaine. L’Afrique a encore le temps de créer ses propres intelligences artificielles et de les mettre au service de ses langues, de ses traditions, de ses rêves.